S’engager…à quoi ? L’engagement…pour quoi ?

Au travail, l’engagement a du sens au service d’une idée, d’une contribution, d’une réalisation qui nous dépasse souvent en tant qu’individu mais qui n’appartient qu’à nous seul. L’exiger revient à le pervertir, mais ne pas le reconnaitre conduit à une démotivation certaine.

Perturbations dans l’engagement

Nous vivons une époque faite de ruptures et de recompositions permanentes. Que cela touche notre travail, notre vie personnelle, notre santé, ou encore la vie de nos proches, aucune sphère n’est épargnée  — et toutes sont imbriquées.

Cela affecte nos équilibres de vie et va à l’encontre du besoin de continuité et de réciprocité dans la relation.

Plus particulièrement dans notre travail qui repose sur des relations quotidiennes, nous sommes sensibles à ce qui contribue à tisser des liens solides et durables.

 Quand ceux-ci deviennent incertains, à l’occasion de changements ou de difficultés, on ne perçoit plus pour quoi demeurer engagé∙e, alors que c’est le mantra du moment.

Manager ou managé, que pouvons-nous y faire et que pouvons-nous cesser de faire ?

Jérémy ou «l’engagement déçu»

Jérémy, un de nos clients, évoquait récemment avec inquiétude:

«Cela fait dix-huit mois que je travaille dur aux côtés d’un directeur de projet que j’estime et réciproquement, je pense. Mais depuis quelques temps, nous sommes en difficulté. Le marché évolue plus vite que nos estimations initiales. Il faut investir davantage pour mettre en place des solutions ad hoc. Un budget supplémentaire nous a été accordé en comité de pilotage il y a dix jours. C’était un soulagement, mais hier, lors d’un point d’équipe, mon directeur m’a demandé de lui faire une proposition de réduction des coûts de 20% pour le soir même. J’ai rappelé que j’avais lancé des recrutements et des dépenses, à sa demande, deux semaines auparavant. Il m’a répondu: « Tu es payé assez cher pour gérer les contradictions quelles qu’elles soient »

Blessé et choqué, Jérémy tente de comprendre et de discuter. Son responsable lui rétorque que tout change, qu’il faut s’adapter et que c’est comme ça, qu’il attend de lui «un engagement sans faille pour atteindre les objectifs».

Jérémy est perdu et, au fond, il a peur. Peur d’échouer, puisqu’en premier lieu il n’y voit pas clair et ne perçoit pas comment maintenir son engagement. S’engager est-ce devenu s’adapter? Et si oui à quoi ? Aux revirements d’une semaine à l’autre, qui le mettent en porte-à-faux vis-à-vis de tous ses interlocuteurs? A des demandes dont il ne perçoit pas le sens? Au fait que son chef semble aussi perdu que lui mais qu’il la joue «gros dur»? Ou encore à un ordre à peine déguisé de faire comme si de rien n’était?…

Tout cela lui semble absurde. La situation se dégrade. Jugé trop rigide, il est écarté du projet.

S’engager, c’est promettre,… en miroir de ce qu’on nous promet implicitement

Nous choisissons de servir un projet en donnant le meilleur de nous-même pour deux raisons. D’une part, nous avons le sentiment d’être à notre place et d’utiliser nos compétences à bon escient, en cohérence avec nos convictions et/ou nos projets personnels. D’autre part, nous considérons que, de son côté, le management est solidaire de notre réussite et nous en donne les moyens. Dans ce cas, l’engagement est réciproque et la transaction est gagnante pour tous.

Dit autrement, on ne s’engage pas tout seul. Il y a nécessairement une réciprocité, qui implique une solidarité dans la façon d’aborder les difficultés, les arbitrages, la recherche de solutions et la prise de décision.

Il ne suffit pas de s’accorder sur des objectifs. Il convient d’établir ensemble des règles du jeu saines, comme par exemple d’évoquer ce qu’il en sera en cas de désaccord, sur quoi il y aura discussion possible et sur quoi le manager décidera par lui-même, parce qu’il assumera le risque in fine. Ou bien encore de rappeler quelques principes incontournables dans la culture de tel service ou de telle entreprise qui seront des points de références pour tous.

La parole donnée… ne l’est plus pour longtemps

Il peut être vain de répéter à l’envi qu’il est nécessaire de s’engager. S’engager ne peut être qu’un libre choix. Dans un contexte donné, on a une idée de ce à quoi on souhaite s’engager, et jusqu’où. Et si on ne le sait pas, ou si on ne prend pas la peine de l’expliciter a minima pour soi-même, on court le risque de s’épuiser, tout en éprouvant déception et ressentiment.

Dans le contexte professionnel, en tant que manager on est dans une position délicate. On est sensé s’engager en vue d’objectifs précis et tout mettre en œuvre pour que ses équipes s’engagent à faire de même. Ceci n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est que la parole que l’on donne à l’instant T n’est plus immuable. Les managers le savent. Pourtant, ils continuent à faire «comme si». Et les conséquences sont dommageables.

Que faire ? Il semble plus sage et surtout plus efficace vis-à-vis des collaborateurs de faire connaître ce sur quoi on n’a pas de visibilité et, en conséquence, ce qu’on ne peut promettre. L’enjeu est alors, plutôt que de mettre en avant un engagement qu’on ne sera peut-être pas en mesure d’honorer, de s’accorder sur un compromis acceptable pour les uns et les autres.

Cet accord donnera le sens jusqu’au prochain virage, avec des règles claires pour structurer les relations. Car c’est dans les interactions au plus près des aléas quotidiens que sera perçue, ou pas, la réciprocité de l’engagement à faire au mieux ensemble.

Personne n’est à l’abri d’un faux-pas en la matière, mais le reconnaitre et rétablir la situation est indispensable

Des directeurs comme celui de Jérémy, nous en accompagnons beaucoup. Ils sont eux-mêmes souvent en difficulté. Pris dans des contradictions et des objectifs changeants venant de leur direction, Ils n’ont pas toujours le temps d’expliquer ni de faire dans la subtilité. Ils aimeraient que cela soit différent mais ils se sentent enfermés. Engagés, ils le sont généralement depuis des années. Ils ont réussi de nombreux projets avec diverses équipes, mais aujourd’hui ils constatent qu’il faut aller toujours plus vite dans l’exécution, sans en avoir vraiment les moyens et sans pouvoir garantir le succès. ça les mine au quotidien mais ils ont l’habitude de tenir bon. Généralement ces managers n’ont pas beaucoup soufflé ni réellement pris de recul dans un contexte managérial qui s’est largement modifié. Pour tenir leurs objectifs, ils sont tentés de passer en force, comme avec Jérémy. Mais cela donne rarement les résultats escomptés et personne n’est satisfait.

Le manager de Jérémy aurait-il pu s’y prendre autrement ? Certainement. Avouer que la situation le mettait lui-même en difficulté et chercher avec Jérémy des solutions. Dire à Jérémy qu’il comprenait sa déception et qu’il reconnaissait qu’il le mettait en difficulté, tout en s’accordant sur ce qui semblait jouable à ce moment-là pour valider une hypothèse de réduction de coûts. Ne surtout pas remettre en cause l’engagement de Jérémy, au contraire reconnaître ce qu’il avait déjà entrepris pour atteindre l’objectif et expliquer en quoi il y avait une nécessité de changer…

L’engagement a du sens au service d’une idée, d’une contribution, d’une réalisation qui nous dépasse en tant qu’individu mais qui n’appartient qu’à nous seul

Dans la pratique, au travail, on s’engage à donner de soi, de son temps, de sa compétence, bien au-delà de ce que le seul contrat de travail stipule. On y met du cœur, de l’intelligence, de la connivence avec les autres, parce que ça nous rend meilleur et que ça rend meilleur l’ensemble auquel on appartient. Cela participe du lien social et de la création de valeur. Pourtant, cette valeur n’est reconnue dans aucun tableur Excel.

Dans cette réalité, inviter à l’engagement peut être irrespectueux et contreproductif. Mais reconnaitre l’engagement partout où il se manifeste est essentiel.