Cohérence ou perversion ? Encourager le développement personnel des collaborateurs engage le management

Pour travailler efficacement, il faut pouvoir se concentrer et disposer des moyens nécessaires, au premier rang desquels notamment les compétences. Or les facteurs reconnus comme nuisant à la fluidité des processus mentaux (interruptions, sentiment d’urgence, complexité, fragmentation etc.) font partie des plaintes récurrentes formulées par les salariés.

C’est pour cette raison que l’allègement de la charge mentale est aujourd’hui un sujet important pour les responsables de formation.

Mais la charge mentale ne dépend pas que de l’optimisation de l’équilibre entre nos capacités personnelles et les taches demandées. Elle résulte d’une combinaison complexe de facteurs individuels (mes compétences, mon organisation personnelle), techniques (les moyens mis à ma disposition), organisationnels et sociaux. Malheureusement l’entreprise, pour traiter ce problème, se centre le plus souvent sur les aptitudes des individus.

 Les solutions adoptées pour faire face sont insuffisantes.

Elles consistent en effet essentiellement en diverses formations centrées sur l’organisation et le développement personnels.

Qu’il s’agisse de gestion du temps ou des priorités, les offres ne manquent pas. On enseigne les lois du temps (Illich, Pareto, Parkinson etc.) et on donne des clés pour faire des listes « intelligentes » et définir des priorités. Les personnes sont invitées à bloquer dans l’agenda des temps pour travailler « dans leur coin » et en réserver d’autres à la lecture des mails etc.

Les directions de ressources humaines et les organismes de formation ajoutent à leurs catalogues des séances de relaxation et des ateliers pour « remettre son esprit au calme », se « centrer » ou même « lâcher prise ».

Tous ces outils sont utiles et même indispensables, mais ils ne réussissent pas à enrayer la hausse constante de la charge mentale des salariés.

Toutes ces techniques qui visent à aider les individus à « s’adapter » portent en creux un message culpabilisant et font l’économie d’un travail essentiel avec et sur l’environnement.

Trop souvent des propositions de réflexion individuelle sont proposées lorsqu’une plainte est formulée ou un risque identifié.

Après un congé maladie, il est proposé à Philippe un coaching pour l’aider à « faire face » car son manager est conscient qu’il y a beaucoup à faire et que le job de Philippe est très exigeant. Peut-être faudrait-il « apprendre à déléguer et mieux gérer les priorités ». Ce serait bien aussi que Philippe adopte une posture plus managériale et un peu moins « émotionnelle » (sic).

Durant les premières séances Philippe s’inquiète : il doit répondre à de nouvelles demandes qui ne sont pas prévues dans son organisation actuelle, son équipe sature et lui-même se sent en risque. La tension monte et tout le monde s’épuise. Son agenda est cannibalisé par les réunions et il n’a pas le temps pour réfléchir et élaborer des solutions. Déléguer, il veut bien mais quoi ? et à qui ? Il n’a pas le temps de faire le point avec ses collaborateurs.

Nous avons travaillé sur l’organisation personnelle de Philippe et il a acquis des réflexes pour protéger sa santé et récupérer plus vite. Mais nous achoppons vite sur une difficulté : les demandes qui lui sont faites ne sont jamais filtrées par sa hiérarchie qui n’a pas de moyens à lui donner pour les traiter et qui continue d’ignorer la difficulté.

Philippe est soulagé de se rendre compte qu’il n’est pas « insuffisant », et, ayant lui-même remis de l’ordre dans les objectifs, il embarque ses collaborateurs dans une réflexion pour trouver des ressources en dehors de leur équipe et revoir leurs priorités. Tous les objectifs annuels sont reformulés. Chacun est plus serein et plus en recul aussi, car l’absence d’implication du manager de Philippe met une limite aux améliorations possibles et à l’efficacité dont chacun est maintenant bien conscient. Les objectifs de Philippe n’ont pas été revus. Combien de temps cela peut-il tenir ?

Nous observons aujourd’hui que plus l’organisation est grande, plus la complexité augmente et plus les marges de manœuvre semblent étroites. Demander à l’individu de développer des ressources pour s’adapter à cette donne est à double tranchant car si les individus deviennent plus lucides et mieux armés cela renvoie au management une responsabilité sur les cadres, l’organisation et les objectifs qu’il s’agit d’assumer.